Au Coeur du sujet BSI : 1° SYMBOLIQUE DU LIERRE

Je vais tenter d'aborder ici des sujets annexes à la numismatique de notre période préférée afin d'apporter lorsque cela est possible un complément d'information ou un nouvel éclairage sur l'un ou l'autre élément rencontré lors de nos immersions numismatiques.
Cette "rubrique" se veut interactive et a besoin de votre participation, de vos avis, de vos idées, de vos réflexions, de votre esprit critique et constructif pour surmonter les difficultés de l'interprétation des sujets qui seront proposés par moi ou par vous

Sujet N°1: un symbole qui ne manque pas de coeur

Le   David Premier a eu l'occasion de voir les monnaies trouvées au Château du Mourgues du Grès a Beaucaire et a eu l'occasion de photographier 39 monnaies. Parmi ces monnaies, deux monnaies ont particulièrement attiré mon attention. Deux monnaies de Constans pour Trèves au type "VICTORIAE D D AVGG Q N N" RIC 185
Les voici...



Et en voici deux autres tirées de la base:



L'objet de notre discussion est le symbole figurant entre les deux victoires. David le décrit comme une feuille ou un trèfle dans la base.
Mais de quoi s'agit-il réellement?
Pour ma part, à première vue,  il me fait penser à un coeur; ce qui ne manquera pas d'intéresser "Coeurderome".

Symbole que j'ai déjà rencontré ailleurs...mais où? (il faut un peu de suspens)

J'ai passé en revue mes photos de vacances des vingt dernières années.. et j'ai trouvé ça


Ce symbole est une marque lapidaire laissée par un tailleur de pierre sur un mur de Split en Croatie dans l'ancienne résidence ou palais que Dioclétien s'est fait construire et où il s'est retiré après son abdication. Un hospice en quelque sorte.


Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il s'agit du même symbole ? oui/non

Ce symbole figurait sur des blocs de pierre dans les bases du palais parmi d'autres marques lapidaires...

Une menorah (chandelier à sept branches), symbole donnant probablement l'origine ethnique ou religieuse de l'artisan.


Un symbole qui me fait penser à quelque chose que la décence ne me permet pas de divulguer ici, mais le tailleur pourrait bien être une tailleuse  




Je reviens ... à deux mains

La dernière est peut être la représentation simplifiée d'un navire, petit cochon va !

Ce qui colle avec l'interprétation de la feuille (mais ce n'est pas moi qui ai interprété cet élément comme tel mais les auteurs du RIC) est l'appendice (sa queue ... attention je te vois venir, de la queue au cœur y a pas beaucoup d'espace )

A priori une feuille de lierre, plante sempervirente, symbole d'immortalité

elagabale2000 a écrit:A priori une feuille de lierre, plante sempervirente, symbole d'immortalité

Voilà l'interprétation de notre grand Manitou David et j'y reviendrai car il a raison , même si cela repose sur sa petite queue à la feuille

Pour ce qui est du symbole de la "tailleuse", il s'agit probablement d'un omega à l'envers (les blocs de pierre n'étant pas placés en fonction de la marque laissée par le tailleur de pierre) et d'un trait au centre mis comme abréviation du nom du tailleur.

Bonjour à tous
je pense également  à la représentation d'une feuille probablement de lierre
Merci BSI pour ton clin d'œil à ma théorie    
toujours plaisir à vous lire et à apprécier la verve  de BSI

 Coeurderome  
et ne manque pas la suite du développement ...cela pourrait bien t'intéresser.

Pourquoi du lierre me direz-vous ? Le chef m'a un peu coupé le lierre sous le pied. Quel érudit cet homme-là!

Voici pourquoi...
Lors d'un visite au king en son royaume, j'ai eu le plaisir de visiter le musée de la Romanité à Nîmes et j'ai fait ces photos:





Il s'agit sans aucun doute de notre symbole, d'ailleurs on reconnaîtra au-dessus la petite queue du chef ... enfin de la feuille du chef

Désolé pour ceux qui lisent en live, je fais une pause pour prendre mon petit déjeuner.

Il peut y avoir d'autres explications qui nous échappent. Je n'ai pas trouvé grand chose sur le net mais il est vrai que cette feuille est utilisée en marque d'émission pour les louves de l'atelier Rome en 337 ainsi que, pour le même atelier, des émissions de Valentinien et Valens

Revenons à nos moutons.

Les deux stèles présentées dans l'envoi précédent montrent notre symbole associé aux lettres D M mis pour DIIS MANIBUS= Aux dieux Mânes

La première est datée de la fin du Ier siècle au IIème siècle après J.-C.

La deuxième est datée du IIème siècle après J.-C. et donne le nom d'un soldat de l'armée de Germanie Supérieure.

A regarder de plus près, notre feuille ressemble franchement à un coeur.

Pourquoi le lierre?



Le lierre est une plante qui comme la vigne est associée à Bacchus/Dionysos.

On retrouve cette plante sur les tombes car son feuillage persistant symbolisait le renouveau et était appelé aussi "plante d'Osiris".
Osiris qui prit le nom de Sarapis, puis Sérapis chez les Grecs et Romains était déjà en Egypte au Moyen Empire invoqué sur des stèles votives des défunts.
Osiris était le dieu mort et ressuscité. C'est aussi Osiris qui présidait au jugement des âmes des défunts; la mort était un seuil à franchir avant d'atteindre le monde de l'au-delà. Cela rappelle étrangement le christianisme non  
Osiris était aussi dieu de l'agriculture qui enseigna à l'homme a planté les graines pour voir renaître une nouvelle moisson.
La plante d'Osiris évoquerait la vie après la mort, la renaissance, le renouveau.

Le lierre serait une plante vivace associé à l'immortalité.

Mais pas seulement...

Merci pour cet éclairage Je vais t'appeler "green lantern"

elagabale2000 a écrit:Il peut y avoir d'autres explications qui nous échappent. Je n'ai pas trouvé grand chose sur le net mais il est vrai que cette feuille est utilisée en marque d'émission pour les louves de l'atelier Rome en 337 ainsi que, pour le même atelier, des émissions de Valentinien et Valens

Avant de se planter un pieu dans le coeur pour vérifier si immortalité il y a, continuons notre enquête ...

J'ai évoqué Osiris pour expliquer la présence de la feuille de lierre sur les stèles funéraires (probablement des adeptes d'un culte oriental comme celui d'Isis ou Sérapis dont le culte est attesté à Rome et ailleurs dans l'empire).

N'oublions pas qu'Osiris a été assimilé par les Ptolémées à Oser-Apis, puis à Sarapis ou Sérapis qui est une sorte d'amalgame (syncrétisme gréco-égyptien) entre Osiris, Zeus, Asculape et Apis. Sérapis portant le modius, symbolisant la fertilité (il empiète un peu sur les plates-bandes de Vénus, il me semble).

Les dieux égyptiens et leurs fonctions ont été récupérés et réinventés par les Grecs puis les Romains. Un exemple parlant: Isis devenue Aphrodite, puis Vénus (en passant par le déesse mère) et plus tard incarnée par la Vierge.

Tout ce qui précède ne nous explique pas pourquoi le lierre serait présent sur les monnaies de Constans à Trèves ou sur des monnaies de Rome.

L'immortalité ? Le Phénix ?

Le renouveau ?  Cela me rappelle vaguement une légende de revers  FEL TEMP REPARATIO le retour au temps heureux


Revenons au coeur même de l'Empire pour trouver une explication complémentaire.
Rome, nous voici...



Cette monnaie de Maxence en habit de consul présente au revers un temple.
De quel temple s'agit-il? De celui dédié à Rome elle-même qui était adossé à celui de Vénus.  



Vénus était qualifiée par les Romains de Genetrix (mère), Victrix (victorieuse), Felix (heureuse, féconde),... Elle était la mère d'Enée dont la descendance à en croire Virgile (Enéide) a fondé la ville éternelle, Rome.

Quoi de plus normal que Vénus, déesse de l'Amour, figure sur les monnaies de Rome de manière symbolique.
Quel rapport entre Vénus et le lierre me direz- vous ?

La forme du lierre rappelle la forme du coeur tel que nous le représentons symboliquement actuellement.

Est ce suffisant pour en tirer une conclusion?

Nous allons le savoir ... To be continued

elagabale2000 a écrit:Merci pour cet éclairage Je vais t'appeler "green lantern"

Il ne faut pas prendre les vessies pour des lanternes.

Le cœur tel que nous le représentons actuellement était il représenté de la même manière dans l'antiquité . Je n'ai pas souvenir d'en avoir vu une représentation

elagabale2000 a écrit:Le cœur tel que nous le représentons actuellement était il représenté de la même manière dans l'antiquité . Je n'ai pas souvenir d'en avoir vu une représentation

Les mentalités évoluent.
Les symboles sont détournés de leur signification première avec le temps.
Un exemple: le symbole solaire  devient le monogramme constantinien et finit en christogramme  ou

La liturgie chrétienne a gardé des éléments d'origine mais a arrangé le tout à sa sauce... Dieu est lumière, ....

Ne sois pas trop impatient, la conclusion arrivera bientôt mais pas avant ce soir  Je dois jouer une partie de Risk avec Constantin.

Comment arriver à associer Vénus, le lierre, le « cœur » et les marques monétaires du IVème siècle ?

La symbolique du lierre a très certainement évolué entre le Ier et le IVème siècle après J.-C.,  parce que rien n’est immuable.

Comment le symbole du « cœur » est-il né de celui du lierre ?

Revenons à Bacchus, dieu associé au vin et aux plaisirs.

La vigne et le lierre sont indissociables de Bacchus/Dionysos, ces deux plantes ont des feuilles qui se ressemblent et s’accrochent de la même manière avec leurs vrilles.  
Le dieu porte d’ailleurs une couronne de lierre sur la tête (même si on pense souvent à tord que la divinité porte sur la tête des feuilles de vigne et des raisins) voir plus loin dans le post.
Le lierre est devenu le symbole de l’amour (parfois excessif d’ailleurs), car il a la fâcheuse tendance à s’accrocher à l’être sur qui il a jeté son dévolu.

Catulle LIX, 34 : « Enchaîne son cœur par l’Amour le plus vif, comme le lierre de ses replis embrasse l’arbre qui le nourrit »

Lucien de Samosate, Les Amours, XXXVIII, 12 : « Le lierre amoureux rampe autour de chaque tronc qu’il tient embrassé »

Le lierre est donc le symbole de l’amour (possessif) et aussi de la fidélité, car il a tendance à s’accrocher à l’être aimé.
De l’amour à Vénus, il n’y a plus qu’un pas.
Et lorsque qu’on parle d’Amour, on pense à Eros/Cupidon qui décoche ses flèches attisant les désirs et rapprochant les êtres.

On en arrive aux émissions frappées à Rome sous Constantin Ier portant à l’exergue outre la marque et l’officine de l’atelier monétaire, le nom d’Eros, ϵρωC dont les lettres grecques sont ligaturées et parfois forment une feuille de lierre, symbole de l’Amour qui convient parfaitement à l’Vrbs que César avait placé sous la protection de la divinité qui avait engendré Enée et la gens Iulia.
Exemplaires issus de la collection Coeurderome:


La première monnaie associe le revers ROMAE AETERNAE à l'inscription EROS à l'exergue.
La seconde monnaie ( peut-être une imitation d'ailleurs) présente les lettres EROS de telle manière que la feuille de lierre apparaît à l'exergue, mais il y en a une autre sous VOT.
Aucun doute à avoir dans ces émissions, il y a la volonté d'associer Eros et donc Vénus. Les lettres composant le mot EROS sont utilisées pour figurer le lierre symbolisant l'amour et c'est ce lierre qui au Moyen-âge symbolisera la fidélité en amour qui conduira à assimiler ce symbole à l'image symbolique que nous avons du coeur actuellement.

Résumons notre propos :
-Feuille de lierre utilisée sur des stèles funéraires du Ier et IIème siècle après J.-C. symbolisant le renouveau associé aux croyances égyptiennes sur l’immortalité et la vie après la mort ou plus simplement symbole de l'amour filiale indéfectible.
-Feuille de lierre utilisée comme marque lapidaire sur des pierres ayant servi à la construction du palais de Dioclétien à Split, fin IIIème et début IVème siècle.
-Feuille de lierre associé aux lettres d’Eros sur des monnaies du IVème siècle de règne de Constantin Ier à Rome faisant référence à Vénus, déesse protectrice de Rome et dont le culte est associé à celui de Rome sous la forme d’un temple double où les deux divinités sont adossées l’une à l’autre.
Jusque-là tout se tient, mais et il y a toujours un mais …
Va pour le symbole du lierre et son association à Vénus/Eros pour l’atelier de Rome.
Mais le lierre symbole de Vénus sur les monnaies de Trèves sous le règne de Constans et ses frères et plus tard sous Valens et Valentinien en plein essor du christianisme. Il y a comme on dit chez moi un stuuut.
Mais c’est parce que tous les aspects de notre symbole n’ont pas encore été abordés…    

Comment interpréter notre symbole monétaire ? A n'en pas douter, c'est bien lui qui à donner notre symbole utilisé pour désigner le coeur, l'amour, nos sentiments amoureux.
Mais une autre symbolique lui était associée...
La solution est derrière moi, mais comme vous roupillez déjà tous, vous attendrez bien encore jusqu'à demain.

Avec le lierre et le coeur, on est en plein romantisme... Merci Thierry pour cette approche éclairée!  
   Il me faudra patienter quelques jours avant d'avoir la suite...

Bonne semaine à tous!

Michel et bonne semaine aussi

Merci Thierry, on attends la suite avec impatience

BEATISSIMUS SOL INVICTUS a écrit:La solution est derrière moi

Merci pour cette intéressante rubrique !

Mais la prochaine fois, tiens ton smartphone bien droit, ça m'évitera d'attraper le mal de mer en examinant ta photo !

 chef et  zafeu

Pour éclairer la lanterne du chef et jouer mon rôle de green lantern, un petit complément d'informations:

J'ai modifié un de mes envois ci-dessus, car à ma grande surprise, le statuaire relatif à Dionysos ne le représente pas avec des feuilles de vigne et des raisins sur la tête, mais c'est bien toujours une couronne de lierre et ses fruits  La confusion vient du faite qu'il est associé au vin et à la vigne en grand épicurien qu'il est comme nombre de nos membres

Cours de botanique:
le lierre et son fruit:


Dionysos et sa couronne de lierre et son fruit:


Le lierre et son fruit = symbole dionysiaque

beau sens de l'observation !  

Quelle merveille, cette statuaire antique... On ne s'en lasse pas !

Bonjour et merci BSI pour ce bel exposé. (J’ai aussi beaucoup apprécié ton travail sur le cognomen caesar)

Au musée d’Arles j’avais photographié une jolie bague en ivoire datée si mon souvenir est bon du Ier siècle après JC. La description mentionnait « en forme de cœur », ce qui, pour les raisons évoquées plus haut m’avait un peu chiffonnée.



Les feuilles de lierre ne sont pas toutes à mettre dans le même panier, suivant l’époque et le contexte. Sur les inscriptions (pas toujours funéraires) elle peut aussi être un simple signe de ponctuation, (les « heredae distinguentes ») parfois à l’intérieur d’un mot, ou séparant le plus souvent deux mots, utilisée indistinctement avec la palmette ou les points.
Comme pour la fameuse pierre de Martialis, écrite en langue celte et en caractères latins, datés du I/IIe siecle.



Très fréquente avec l’abréviation DM (diis manibus) elle a peut être là un sens symbolique, mais je ne suis pas sûre qu’il faille faire le détour vers l’Egypte pour lui accorder le sens d’attachement, de persistance du souvenir.
Pas certaine non plus que le début du monogramme ÉROS représente bien une feuille de lierre sur les monnaies citées, et qu’il soit autre chose qu’une variante du jeu de mots jouant sur le palindrome AMOR/ROMA. Si on me montrait un autre exemple d’épigraphie associant Éros au lierre, (association indiscutable pour Dionysos,  notamment parce qu’il est dieu  « né deux fois ») je serais plus convaincue.

Je suis curieuse de voir l’interprétation que tu donneras pour cette scène d’ingressus de l’arc de Constantin (car je pense que c’est ce détail du lierre figuré sur le char du quadrige qui emmène Constantin à Rome après la victoire du Pont Milvius que tu évoques?)





Au fait, c’est toi sur la photo?

oui c'est lui en plus jeune (le saligaud )

Sympa!

myriam a écrit: J’ai aussi beaucoup apprécié ton travail sur le cognomen caesar

Bonjour Myriam
Je suis flatté que tu aies apprécié mon travail sur le cognomen

Pour ce qui est de la photo, c'est bien moi, il y a peu (15 ans ). Le fait son jaloux parce que j'ai plus de cheveux que lui

Pour la suite de l'interprétation, je la poste ce soir. Je fais cela au pied levé. Après avoir vu les stèles à Nîmes, j'ai passé en revue mes photos et rassemblé quelques éléments pour aborder le sujet. J'ai un peu potassé la botanique aussi il fallait bien s'accrocher aux branches.

Merci de ta participation et de tes avis éclairés, même si l'effet de surprise relatif au char de Constantin Ier a été dévoilé avant terme.

elagabale2000 a écrit:oui c'est lui en plus jeune (le saligaud )

Jaloux

Oui et en plus tu dois faire 1 bon mètre de plus que moi

J'avais aussi envisagé une autre possibilité (erronée), la grappe de raisin stylisée. J'avais à l'époque sollicité l'avis d'un M-T Olszewski, spécialiste es mosaïques tardo-antiques, sur le sujet. La réponse est intéressante pour la confirmation de la feuille de lierre mais aussi pour la difficulté de contextualisation d'une représentation.

Berkano a écrit:

Je sollicite votre avis afin de tenter de répondre à une interrogation concernant un élément de l'iconographie numismatique de l'antiquité tardive. Il s'agit d'un symbole utilisé comme différent monétaire permettant d'identifier les émissions, apparaissant sur les petites monnaies de cuivre émises d'abord pendant la période 337-340 depuis l'atelier de Rome puis celui de Trèves de 341 à 348 et enfin de nouveau à Rome durant l'ère valentinienne entre 367 et 375.
Ce symbole dont vous trouverez une représentation (pouvant varier suivant les monnaies notamment au niveau de l'extrémité plus ou moins pointue) à l'exergue d'une monnaie de Gratien en suivant le lien suivant : https://i.servimg.com/u/f38/15/86/03/61/leaf10.jpg n'a semble-t'il jamais été défini avec certitude. Il a été qualifié de feuille ou de coeur mais sans référence permettant d'identifier formellement sa nature. Ayant entrevu une analogie possible avec les grappes de raisin représentées sur d'autres monnaies d'époque grecque ou romaine, j'ai naturellement orientée ma recherche vers la source iconographique qui pouvait présenter le plus large panel de représentations de grappes pour l'antiquité tardive : la mosaïque. Une a tout particulièrement attiré mon attention, la mosaïque du pavement de l'église de Saints-Lot-et-Procope située à Khirbet el-Mukhayyat (Jordanie), où figurent des grappes sur le panneau central mais surtout des motifs identiques à ceux de certaines monnaies (principalement celles de Trèves) sur un panneau latéral et bien visibles sur ce site : http://lefeuvre.evariste.perso.sfr.fr/voyages/jordanie/images/lot074.jpg
J'ai relu avec attention et intérêt votre publication "L'image et sa fonction dans la mosaïque byzantine des premières basiliques en Orient - L'iconographie chrétienne expliquée par Cyrille de Jérusalem (314-387)" dans laquelle figure aussi cette mosaïque mais je n'y ai cependant pas trouvé de réponse à mon interrogation.
J'aurais donc souhaité connaitre votre point de vue sur cette représentation et sur l'éventuelle signification qu'elle pouvait véhiculer.

Marek-Titien Olszewski a écrit:Je vois votre problème. A vrai dire, je pense que votre problème iconographique peut être très spécifique pour le procédé lie a la numismatique. Un atelier peut avoir une catégorie des symboles spécifiques et très particuliers qu'il faut étudier dans un contexte approprié. Le symbole que je vois ressemble plus aux feuilles de lierre. Une feuille de lierre peut avoir des relations avec Bacchus/Dionysos. Pourtant, certains inscriptions latines ou grecques se terminent par un symbole d'une feuille de lierre. Il est bien d'avoir les yeux ouverts et regarder et comparer partout. Cependant ce que vous trouvez dans des basiliques chrétiennes malgré la ressemblance formelle peuvent avoir une signification complètement différente. Il faut être très prudent pour ne pas surinterpréter des images.

Le feuillage s'épaissit Merci Berkano. Plusieurs significations successives en fonction de la mentalité de l'autorité du moment donc

Berkano pour ton intervention. Là le monsieur, il nous a bien éclairé

Concernant l'association raisins/vigne et le lierre, il s'agit de symboles liés à Dionysos.
Dans la période classique, Dionysos est l'inventeur du vin et le porte-lierre.
Dans la période chrétienne, ces mêmes symboles peuvent évoquer le rythme des saisons, les fruits de la terre (pour le raisin),...

Tentons de nous démêler tout ce lierre qui nous fait tourner la tête (  à moins que cela ne soit le vin qui ait cet effet )

Retour à ROMA et à l'arc de Constantin Ier

Rappelons que l'arc de Constantin Ier est inauguré le 25 juillet 315 par le Sénat et le peuple de Rome.
Il commémore la victoire de l'empereur en octobre 312 sur son rival Maxence.
Myriam vous a déjà vendu la mèche, mais je ne résiste pas vous présenter mes propres clichés.

Une frise s'étirant sur les quatre faces de l'arc nous résume la campagne d'Italie menée par Constantin Ier.

La première en dessous de la Lune (Diane) présente le départ de l'armée de Mediolanum (Milan).


Constantin Ier est présenté assis dans une "voiture" conduit par un cocher entouré de sa garde rapprochée.


La seconde, le siège de Vérone suivi de la bataille du pont Milvius devant Rome.

La troisième face présente l'entrée de Constantin Ier à Rome après sa victoire sur Maxence sous le regard de Sol (Apollon).


C'est sur cette frise que l'on peut voir l'empereur assis sur son quadrige triomphal précédé et conduit par la Victoire, ainsi que son armée entrant à Rome.
Le char de l'empereur victorieux étant décoré d'une guirlande de lierre et oui

Vu de plus près encore.


On remarquera que seul le char triomphal est décoré de la guirlande de lierre.

Le lierre de Dionysos est aussi symbole de Victoire et c'est probablement ce que pourrait symboliser le lierre sur les monnaies.

Exemples:
- Guerres civiles, III, 96,1 , César après sa victoire entre dans le camp de Pompée et trouve la tente de L. Lentulus et de quelques autres décorées de lierre et de beaucoup de choses qui annonçaient une recherche excessive et l'espoir de la victoire...

-Martial: il propose de tresser une couronne civique de lierre pour Domitien, le chêne et le laurier ne suffisant plus.

- Lors de concours poétiques, les vainqueurs étaient honorés d'une couronne de lierre ( Dionysos était le protecteur des poètes).

Cela semble peut-être un peu léger comme argumentaire.

Que penser de ceci?


Il s'agit du sol de la Curie Iulia (Sénat) à Rome, on y reconnaît le motif du lierre avec ses vrilles, la forme de la pelta (bouclier des Amazones), le globe (symbole du pouvoir) et sous les feuilles de lierre, ce qui ressemble à l'extrémité d'un fourreau de "glaive" ou de "spatha".
A l'origine voulu par César, le nouveau Sénat ne sera inauguré que plus tard par Octave Auguste et coiffé d'une victoire pour rappeler la victoire d'Actium entre autres.
Ici la symbolique du pouvoir (globe) est associée à celle de la victoire (lierre) à moins que le lierre ne soit que pour lier entre eux les différents éléments.
Pour être honnête, je ne sais pas si le pavement date du règne d'Auguste ou de la réfection du Sénat commandité par Dioclétien, mais les différents symboles sont intimement liés.

Pourquoi le lierre serait-il lié à la victoire ?
ça vient...

BEATISSIMUS SOL INVICTUS a écrit:
Pourquoi le lierre serait-il lié à la victoire ?
ça vient...

Quel suspens !!!

Dionysos, le lierre, la victoire, il ne manque plus qu'une belle histoire...

Pline l'ancien, dans son "Histoire naturelle" ( Livre XVI, 62,1), nous permet d'entrevoir le lien lorsqu'il nous parle du lierre:
"On dit que le lierre pousse en Asie [...] ne pousse dans l'Inde que sur le mon Méros [...]
et qu'Alexandre (le grand), à cause de la rareté de ce végétal, en fit faire des couronnes pour son armée et revint ainsi de l'Inde en vainqueur, à l'exemple de Bacchus/ Dionysos...

Voici donc le lien: Alexandre le Grand, qui a été le modèle de bien des empereurs et souverains.
César, Trajan, mais Constantin aussi prirent comme modèle le conquérant macédonien.

Alexandre avait, selon la légende, été précédé dans sa conquête de l'Asie par Dionysos:

Arrien, Expéditions d'Alexandre, Livre 5, chapitre 1:
Bacchus, vainqueur de l'Inde est le fondateur de la ville de Nysa. En témoignage de sa faveur, "ce n'est que dans notre contrée que croit le lierre, inconnu dans tout le reste de l'Inde"
Alexandre arrivant à Nysa reçoit une ambassade qui demande après avoir raconté l'origine de la ville que celle-ci puisse conserver sa liberté.
Les Macédoniens, par la suite, forment avec le lierre des guirlandes et des couronnes et entonnent les hymnes de Bacchus.

Alexandre marcha donc dans les pas de son prédécesseur, Dionysos. Tous deux conquérants et fondateurs de villes nouvelles.

Le lierre utilisé sur le char triomphal de Constantin Ier est associé à la victoire et aux réjouissances qui l'accompagnent mais aussi au renouveau (FEL TEMP REPARATIO) et à la pérennité du pouvoir ( le lierre garde ses feuilles même en hiver).

Le symbole monétaire est donc une feuille de lierre dont la symbolique est liée à la victoire/au triomphe (interprétation probablement réductrice du symbole) et peut-être, au travers des exploits de Dionysos et d'Alexandre le Grand auxquels est associé le lierre, à l'hégémonie universelle.

Constantin Ier, à partir de 324, prend Alexandre le Grand comme modèle ( D. Hollard et Fernandez Lopez Sanchez): adoption du diadème, fondation de Constantinopolis, ....mais déjà avant 324, après sa victoire sur Maxence, le bouclier étoilé macédonien apparaît sur son monnayage.

On peut le dire la symbolique du lierre n'est pas simple pour nous simples mortels.


Les conclusions pour demain...N'hésitez pas à me donner votre avis
Il faut que je remette un peu d'ordre dans tout cela

C'est tout à fait compréhensible et une interprétation militaire, pour un monnayage qui est principalement destiné à payer les troupes avec des revers liés aux victoires militaires

Ouuufff ... Je viens de lire ...

Pas mal toutes ces idées  ....

Ton chandelier à sept branches (Ménorah) dont tu parlais me fait penser à une lettre en hébreu qui pourrait ressembler à la feuille se trouvant au milieu de l'exergue de ces 2 monnaies ...
Cette lettre est un Sin

Alors je me dis que ...  pourquoi pas ??? Puisque dans les geôles romaines il devait certainement y avoir pas mal d'esclaves hébreux .... Pourquoi pas des graveurs qui ....

Dans tous les cas ce sont les deux seules monnaies qui ont une feuille dans ce style ... Les autres seraient plutôt du genre T

Bel essai, mais je doute que les graveurs monétaire à Rome étaient autorisés à apposer leur marque perso

Mais c'est vrai que ta feuille de lierre est bien stylisée, peut-être un adepte de Pythagore ils sont parfois très carrés avec leur triangle rectangle.

Je reviens un peu plus tard sur le sujet.

L'avantage de tels sujets, c'est qu'ils font effectuer des recherches et donc des découvertes supplémentaires. Découverte, au moins pour moi, qu'il y a environ 5000 ans la représentation graphique du cœur était déjà utilisée qui plus est sous une forme analogue à la forme anatomique. Cela implique aussi que les "académiciens" de l'époque avaient la connaissance anatomique de l'organe.

Ci-dessous deux titulatures de pharaons de la première et seconde dynastie incluant chacune une représentation graphique du cœur plus ou moins stylisée suivant l'époque et le sens.
Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus : https://www.erudit.org/fr/revues/ms/2004-v20-n3-ms713/007860ar/

 l'ami Berkano pour le lien et l'info.

C'est vrai que ce type de recherche nous conduit à ouvrir un tas de livre qui nous livre un tas de pistes prometteuses ou qui aboutissent à un cul-de-sac.

J'ai étalé dans les envois précédents les pistes et représentations trouvées du symbole à l'honneur pour ce premier sujet et je suis content de constater que certains commencent à entrer dans la farandole.

Une piste qui n'en est peut-être pas une:

Coupe à boire attique votive (470-460 avant J.-C.) conservée au British museum

Aphrodite tenant un rameau fleuri dans la main et portée par une oie/cygne

Le rameau présente des vrilles et est donc une plante grimpante, mais laquelle...du lierre ?


Le rapport entre Eros et le lierre (le symbole) n'est pas établi, me dit Myriam.
Et comme cela on peut dire qu'il l'est.




Si vous voyez la même chose que moi, Eros au centre du plat ou coupe à boire est entouré par une bordure décorée d'une guirlande de lierre aux feuilles caractéristiques dont certaines ont la forme de "coeur" identique à notre symbole monétaire.

Le lien est établi me semble-t-il ? On peut dire que c'est pour la déco ok, mais rien n'est fait au hasard lorsque l'on aborde des sujets mythologiques.


Ne peut-on voir dans l'oeuvre qui suit cette même symbolique formée par les bras de Psyché s'accrochant au cou d'Eros?

Après les représentations et l'étalage de photos, un peu de méthode...

1° on ne peut plus désormais avoir de doute sur la nature du symbole présentée sur les monnaies frappées à Rome et à Trèves. Il s'agit bien d'une feuille identifiée par son pétiole ( la tige au-dessus de la feuille) et sur certains exemplaires par les nervures figurant à la surface de la feuille.


2° L'identification de la feuille au lierre classiquement associé à Dionysos/Bacchus, le porte-lierre, est valablement confirmée par plusieurs éléments:
- symbole présent sur des stèles funéraires probablement d'initiés faisant partie d'associations dionysiaques. Dionysos était aussi protecteur des morts et garant d'un au-delà bienheureux pour les initiés à ses mystères.
Au IIIème siècle, Dionysos est souvent associé sur les sarcophages, à un Génie symbolisant les saisons (= les renaissances annuelles de la nature). D'Hadrien à Dioclétien, l'iconographie des sarcophages reprend le thème de Dionysos triomphant au retour de sa campagne en Inde. Pour ses exploits en compagnie d'Héraclès, il avait mérité l'immortalité et pouvait la promettre à ses fidèles. Dionysos avait ramené sa mère Sémélé des Enfers et devait sauver de même ses initiés = triompher de la mort. ( source: Robert Turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain, ed. Les Belles Letrres)

-Le symbole apparaît également sous la forme d'une guirlande décorant le quadrige triomphale de Constantin Ier sur l'arc de cet empereur érigé à Rome en 315. Seul le lierre peut être représenté. Alexandre le Grand marchant dans les pas de Dionysos lors de sa conquête de l'Inde sacrifie à Dionysos et entonne avec les Macédoniens des hymnes à Bacchus tout en portant des couronnes de lierre et en confectionnant des guirlandes de lierre. Le lierre faisant référence au dieu civilisateur et victorieux est porté en guise d'ornement triomphal et peut aussi symboliser l'allégresse (la Félicité/ felicitas) que procure notamment le vin.

Pius symbolisé par la grue (oiseau cf monnaie républicaine de Metellus Pius) et Felix par le lierre ?????

Une certitude notre symbole est une feuille de lierre et rien d'autre.

Pour les interprétations possibles cela cogite encore...

BSI a écrit:Si vous voyez la même chose que moi, Eros au centre du plat ou coupe à boire est entouré par une bordure décorée d'une guirlande de lierre aux feuilles caractéristiques dont certaines ont la forme de "coeur" identique à notre symbole monétaire.

Le lien est établi me semble-t-il ? On peut dire que c'est pour la déco ok, mais rien n'est fait au hasard lorsque l'on aborde des sujets mythologiques.

A bien y regarder, l'association est même extrêmement fréquente.

Une feuille de lierre sur une phiale.


Une gigogne  , lierre dans phiale dans lierre dans phiale


Lampe à huile.


Dans un Kylix avec la feuille tenue à la main.

Excellent !

Autre exemple iconographique, un peu plus récent et un peu plus chrétien

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Ou... plus profane, du photographe russe Igor Stepovik

Berkano pour ton investissement et tes exemples qui confirment bien l'existence d'une relation symbolique entre Eros et la feuille de lierre.
Que l'on détourne la calligraphie du nom EROS en grec pour faire apparaître une feuille de lierre (pas encore un coeur) pour sa valeur symbolique associée ne relève donc plus du fantasme.
Je cherche une relation ou une interaction significative entre Dionysos et Eros dans la mythologie qui pourrait peut-être nous éclairer.

L'enquête avance...

J'allais oublier de remercier Zafeu pour sa participation humoristique

N’y a-t-il pas quelque chose de dionysiaque dans cette représentation ?

Je suis désolé de cette digression humoristique mais les dessins égyptiens de Berkano me font penser à une monnaie de mon stock et aux aventures d'un célèbre reporter de bande dessinée


https://www.nummus-bible-database.com/monnaie-1824.htm


https://www.freepng.fr/png-6f5zli/

Plus qu'à trouver les cigares...

elagabale2000 a écrit:Je suis désolé de cette digression humoristique mais les dessins égyptiens de Berkano me font penser à une monnaie de mon stock et aux aventures d'un célèbre reporter de bande dessinée  

Pffff....Le chef a perdu tout son sérieux
"une monnaie de mon stock", il dit le chef pourtant ce n'est pas dans "Coke en stock" qu'il va trouver les Pharaons

T'as pas un avis sur le sujet au lieu de te reposer sur tes lauriers et de déguster le jus de Bacchus.

Pour l'anecdote en parlant de jus et en revenant sur le propos de Martial lorsqu'il parle de Domitien en disant que " ni la couronne de laurier, ni celle de chêne ne lui suffisent et qu'il lui faut en plus celle de lierre" Il est fort probable que Martial se moque de l'empereur qui faisait des repas plantureux probablement et bien arrosés. Suétone nous apprend dans sa Vie des douze césars que Domitien constatant que lorsque la production de vin augmentait, celle du blé diminuait, décrète par un édit que des pieds de vigne soient arrachés et remplacés par la culture du blé.
Il ne fit pas appliquer l'édit après avoir lu les quelques vers que voici: "Et si l'on coupait mon cep jusqu'à la racine ( cela doit être douloureux ), mes fruits auraient encore assez de jus pour faire des libations sur ton corps immolé, ô César !"

Le sujet avance bien, je ne sais ce que tu en penses???

Je cherche toujours. Pour l'instant, je lis une pièce de théâtre grec d'Euripide intitulée " Les Bacchantes"

Le lierre du conquérant me vas bien, notamment le lien Bacchus - Alexandre le Grand - Conquête de l'Est (où se dirige le char de Constantin sur l'arc) ; ensuite d'autres interprétations notamment sous Valentinien, avec le lien immortalité - religion chrétienne, peut être être aussi symbole apotropaïque ?

En effet la feuille de lierre ressemble au pelta ...

"La pelta dans les décors antiques
Broche romaine en forme de pelta mise au jour en Pannonie (IIe siècle).

À l'époque romaine, les boucliers d'Amazones connaissent une très grande faveur et tendent à décorer les mosaïques et les arts mineurs. Des peltae encadrent souvent les cartouches portant une inscription sur les monuments ou les sarcophages. R. Gavelle a voulu considérer la pelta comme un attribut bacchique, évoquant la similitude entre « la forme de la pelta et la feuille de lierre ». Selon Gilbert Charles-Picard, la pelta à l'époque impériale symbolise la virtus. Pour lui, elle possède deux valeurs, l'une ethnique : « c'est l'arme des Orientaux », l'autre symbolique, les Amazones étant devenues « les symboles de la vertu guerrière, la virtus, qui constituait la principale des qualités royales requises par la théologie hellénistique ».

L'opinion la plus fréquemment admise attribue à la pelta une valeur apotropaïque semblable à celle du gorgoneion "

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pelta

pour ce complément d'info sur le sens à donner à la pelta qui pourrait être un sujet à part entière.

La feuille de lierre et la pelta, pour moi, ne doivent pas être confondues car comme tu le dis le sens des symboles est différent mais pourrait être complémentaire. L'usage de ces symboles a effectivement perduré dans le temps pour leur vertu apotropaïque (de talisman protecteur)

Je retourne dans mes lectures A+